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Keith Jarrett©Henry Leutwyler ECM RecordsLa scène est la minute de vérité pour les artistes. Pour des jazzmen comme Keith Jarrett, Charles Lloyd, Woody Shaw, Chick Corea ou Pierre Christophe, notamment, c'est surtout une communion avec leur public. 

ECM MûnichLe fameux "Köln Concert" (1975) de Keith Jarrett, enregistré en direct et en solo (sur un piano de mauvaise qualité !), reste comme une des pièces maîtresses de la carrière du pianiste, du jazz mais aussi de la musique en général. Gageons que "Munich 2016" (ECM/Universal) connaisse la même notoriété.Gravé à la Philharmonie de Münich en juillet 2016, ce double album montre deux aspects du virtuose soliste.

D'une part, une première partie, composée d'une suite de douze pièces totalement improvisées qui présentent le pianiste à un degré d'inventivité, dans l'improvisation et la créativité, absolument sublimé. Avant le rappel avec trois thèmes plus "classiques" de son répertoire, dont "Over The Rainbow" en guise de clôture du concert. Autrement dit, deux visages et deux facettes d'un même génie qui sait créer, à travers l'improvisation en solitaire, des chefs d'œuvres.

keith jarrett livreSon impressionnante trajectoire fait aussi l'objet d'un livre, "Keith Jarrett" (Actes Sud - 220 pages - 18 euros) écrit par Jean-Pierre Jackson. L'auteur de monographies et Académicien du Jazz retrace et explique le cheminement exemplaire d'un artiste prodige et exceptionnel qui a su - à travers les décennies, les rencontres, les diverses expériences et passions musicales (solo, duos, trios, musique classique et contemporaine) - transcender les genres et réaliser d'étonnantes synthèses. Jusqu'à devenir un des rares jazzmen universel adulé par tous les publics. Une analyse profonde et recherchée.

Trompettiste et bugliste à la vie et au destin tragique - il décède de ses blessures en 1989 à l'âge de 44 ans après avoir eu le bras sectionné dans un accident de métro à New York - Woody Shaw, ancien accompagnateur d'Eric Dolphy, de Jackie McLean, Herbie Hancock ou encore Dexter Gordon, avait été une des figures importantes et imposantes du jazz moderne.

WOODY SHAW HamburgA l'apogée de sa forme et de son art, il se retrouve en quintet - Carter Jefferson (saxes), Onaje Allan Gumbs (piano), Stafford James (contrebasse) et Victor Lewis (batterie) - en juillet 1979 au célèbre club "Onkel Pö's Carnegie Hall" de Hambourg pour un concert inédit qui vient de paraître (JazzLine /NDR Info - vol 1. double CD).

Cinq titres - avec deux reprises (une de John Coltrane et un standard, "All The Things You Are") - dont certains dépassent allègrement les 20 mn, qui donnent à cet ensemble des occasions de repousser les limites de l'improvisation et de la création collective. Et au milieu de tant de puissance, de maestria et de brio, s'élève la voix énergique, totalement maîtrisée, à la fois délicate et explosive d'un trompettiste qui se donne à fond, comme si c'était son ultime prestation.
Héritier des plus grands trompettistes, Woody Shaw fut une sorte de passeur entre deux mondes du jazz. Son message, alors au sommet de son évolution musicale, fut brusquement interrompu. Un cruel manque depuis !

Montreux, juin 1967. Première édition du Festival de jazz de Montreux (Suisse), qui deviendra un incontournable par la suite. Claude Nobs, co-fondateur et directeur (1936 - 2013), qui a découvert l'année précédente le Quartet de Charles Lloyd (aujourd'hui 81 ans) lors de la 7è édition du Festival international de jazz d'Antibes (l'ancêtre de "Jazz à Juan") décide de frapper un grand coup en invitant le saxophoniste et ses accompagnateurs d'alors : le tout jeune pianiste Keith Jarrett (22 ans), Ron McClure (contrebasse) et Jack DeJohnnette (batterie, 24 ans).

LLOYD 4TET 1Le reste de l'Histoire musicale (avec un grand H) se trouve dans "Charles Lloyd Quartet - Montreux Jazz Festival 1967" (TCB/Bertus France), un double CD inédit qui dévoile la musique jouée ce soir-là.

Autrement dit une musique plutôt déjantée parfois, aux confins voire totalement habitée par le free jazz - surtout en cette fin des '60s ! - avec de belles mélodies tout de suite déconstruites et sciemment dénaturées. Bref, un refus du langage traditionnel pour l'esthétique du cri et de la rage. Et pour couronner le tout, un souffleur (ténor & flûte) totalement allumé et habité, un peu sauvage dans son expression, qui mène avec habileté un 4tet très homogène, d'où se dégagent déjà deux fortes personnalités : Keith Jarrett, inspiré et en ébullition, et Jack DeJohnnette, frappeur impénitent. Toute la puissance d'une époque épique !

charles lloyd


CC Trilogy2 AlbumCover RGBLe jazz est friand de supers groupes et de All Stars Band.

"Trilogy2" (Concord Jazz/Bertus) nous en présente un. Et quel trio : Chick Corea (piano), Christian McBride (contrebasse) et Brian Blade (batterie) ! Ou ce qui se fait quasiment de plus haut de gamme dans cette formule, pourtant basique.

Ce double CD fait suite à "Trilogy", paru en 2013 (deux Grammy Awards) et rassemble des plages enregistrées en 2016. Au programme, un répertoire composé de nombreux standards - "All Blues" (Miles Davis) , "How Deep is the Ocean" (I. Berlin) ou encore "Crepuscule With Nellie" (Thelonious Monk) - des compositions de C. Corea - "La Fiesta", "500 Miles High" - et même une reprise de Stevie Wonder, "Pastime Paradise".

Quant au trio, il est tout simplement brillant. Mais comment pourrait-il en être autrement quand un pianiste exceptionnel, qui a participé à l'histoire du jazz moderne, rencontre un bassiste à la technique démesurée, toujours en rondeur et créative et un batteur qui allie souplesse et rythmes colorés.

De très grands maîtres !


(Ils seront en concert le 29 février 2020 à l'Auditorium de Lyon & le 2 mars à la Philharmonie de Paris.)

New York City a toujours exercé une attraction particulière pour les jazzmen du monde entier, et plus précisément pour les musiciens français.

PChristopheIl était donc assez logique de retrouver le pianiste Pierre Christophe dans l'un des clubs les plus en vue de la "Grosse pomme", le Smalls. Fan incontestable et incontesté de Jacky Byard (dont il fut l'élève) et d'Erroll Garner, il s'est entouré de Joel Frahm (saxe-ténor) et Joe Martin (contrebasse) pour graver "Live at Small's" (Camille Production/Socadisc) et évoquer ses mentors, voire Duke Ellington et Dave Brubeck.

Des évocations inspirées plus que de simples reprises qui mettent en avant à la fois le respect de la tradition et la dévotion d'un pianiste et compositeur, au jeu élégant et raffiné, envers de glorieux aînés.