Si plus de 26.000 personnes, selon les organisateurs, ont participé à la 58è édition de Jazz à Juan (du 12 au 22 juillet - amputée d'une soirée en raison d'un violent orage), l'un des temps forts du festival restera l'émouvant hommage de Marcus Miller à son père, décédé il y a quelques mois.
Dans un français parfait, le bassiste électrique - au légendaire "Pork Pie Hat", immortalisé plusieurs décennies auparavent par le mythique saxophoniste-ténor Lester "Prez" Young - vissé sur le sommet de son crâne s'est livré à quelques confidences très personnelles durant sa présence sur scène.
"Mon père, William H. disparu en mars dernier à l'âge de 92 ans, était pasteur dans une église de Brooklyn et rêvait de devenir pianiste classique professionnel. Mais cette ambition fut abandonnée avec la naissance de deux enfants. Afin de nourrir sa famille, il fut tour à tour chauffeur de bus puis de métro à New York City", a-t-il confessé.
Tout en continuant à donner à son fils Marcus l'amour de la musique, un amour partagé et entretenu par son oncle, Wynton Kelly, ancien pianiste de Miles Davis. Avec en premier lieu l'apprentissage de la clarinette puis de la guitare basse.
Et c'est justement à la clarinette basse - uniquement accompagné de son batteur et de son claviériste - que le charismatique jazzman a évoqué la mémoire de ce père adulé en lui dédiant un titre, "Preacher's Kid".
S'en sont suivis des moments d'une intense et extraordinaire émotion sur ce thème aux accents très churchy et bluesy, renforcés par la sonorité grave, sombre et imposante de la clarinette basse. Le tout allant jusqu'à embuer les yeux, voire faire couler quelques larmes sur les joues des auditeurs et auditrices de la Pinède Gould qui partageaient avec un sentiment à la fois de douleur et de plaisir musical, cette émouvante évocation paternelle, pleine d'une très grande humanité, tendresse et bonté.
Chapeau - et un grand merci - l'artiste !
L'autre moment éloquent à mettre au crédit de l'excellente et passionnante prestation de Marcus Miller, dont le répertoire était tiré de son dernier album, "Laid Black" (Blue Note/Universal), a été la venue sur scène de la vocaliste belge Selah Sue pour trois titres (plus le rappel).
De plus en plus "joplinienne", notamment dans le timbre de voix, la chanteuse a surtout délivré une longue, enlevée, inspirée, rythmée et funky version d'un standard de la chanson "Que Sera Sera".
"Après la version originale interprétée par Doris Day, puis plus soul par Sly and The Family Stone, voici la version Marcus Miller" s'est amusé à déclarer le bassiste, absolument aux anges.
Autres temps forts
Parmi les autres temps forts d'un festival qui a accueilli des artistes aussi différents que Carla Bruni, Melody Gardot, Norah Jones ou bien Lenny Kravitz, a été le concert de Chick Corea.
Celui qui était venu à Antibes/Juan-les-Pins pour la première fois au sein du groupe de Miles Davis en 1969, s'est livré à la tête de son magnifique, homogène et fidèle Trio acoustique depuis près de trente ans - John Patitucci (contrebasse) et Dave Weckl (batterie) - a une formidable promenade dans les standards revisités à sa façon et les compositions originales.
Avec son style pianistique reconnaissable entre tous, fait de ruptures rythmiques et mélodiques appuyées et d'un phrasé rapide parfois percutant, le leader a réinventé "In A Sentimental Mood" (Duke Ellington), devenu "Chick's Mood", s'est inspiré de Scarlatti pour composer "Dom", et a réarrangé "You and the Night and the Music", composé pour un "musical" de Broadway dans les années 1930.
Ou tout l'art et, surtout la manière étoilée, de faire de l'actuel avec un riche et inépuisable répertoire d'antan !
Si, dans la même soirée, la musique de David Sanborn a mis très (trop ?) longtemps à trouver son rythme de croisière allant d'une forme de bavardage à - enfin ! - retrouver les accents et le style propre au saxophoniste-alto, il faut saluer le concert donné par le Multiquarium Big Band de André Charlier (batterie) et Benoît Sourisse (claviers) qui avaient invité Biréli Lagrène (à la basse électrique) pour un hommage à Jaco Pastorius (en 1ère partie de Marcus Miller).
Et les fantômes de ce précurseur et pionnier de la basse électrique, décédé en 1985 dans des circonstances partculièrement tragiques à l'âge de 35 ans, tout comme celui de l'emblématique groupe de jazz-rock et jazz fusion Weather Report, auquel il a participé et donné tant de tubes, ont plané sur la pinède.
Des compositions comme "Barbary Coast", "Continuum" ou encore "Teen Town" ont donné à Biréli Lagrène, étonnant à la basse électrique, et au puissant grand orchestre, l'occasion de rappeler l'importance et l'influence apportées par un révolutionnaire instrumental trop tôt disparu.
La 59 édition de Jazz à Juan se déroulera du 12 au 21 juillet 2019 inclus et, entre temps, se tiendra le 2è "Jammin' Juan", le marché des professionnels du jazz, du 25 au 27 octobre prochain.
(Photos © Gilles Lefrancq/OTC Antibes Juan-les-Pins & ©Marie-Evelyne Colonna)