Un maître absolu - Keith Jarrett - et de nombreux disciples - le NorvégienTord Gustavsen, le Polonais Marcin Wasilewski ou le Français Amaury Faye - élèvent l'instrument au pinacle. Principalement en "live".
Quand en janvier 1975, Keith Jarrett s'installe seul devant son piano dans la salle de l'Opéra de Cologne en Allemagne, il est loin d'imaginer qu'il va réaliser là une performance musicale qui va entrer dans la légende de la musique en général et du jazz en particulier, le fameux "Köln Concert (ECM).
Dès lors, la carrière du pianiste découvert par Charles Lloyd et installé aux claviers électriques par Miles Davis, va décoller. Et le leader de vouloir poursuivre un travail en soliste absolu. Un exercice qu'il va renouveler souvent dont une nouvelle prouesse vient de voir le jour avec "La Fenice" (ECM/Universal).
En juillet 2006, Keith Jarrett investi le prestigieux cadre du Gran Teatro La Fenice de Venise, un des temples de l'opéra et de la musique classique en Italie, pour présenter à un public très respectueux des conventions, à la fois un relecture de standards (2) et de chanson traditionnelle (1), mais surtout une série de huit créations spontanées originales.
Un double CD absolument extraordinaire dans lequel le pianiste, qui est le premier jazzmen à recevoir un Lion d'or à l'occasion de la 62è édition du Festival international de musique contemporaine de la Biennale de Venise et qui est ,pour des générations de pianistes, un mentor, montre avec éloquence et majesté l'infini de sa puissance créatrice en temps réel, appuyée par une technique étourdissante.
Le véritable maître des claviers !
Perle du Nord
Anciennes chansons populaires et chants religieux nordiques, des chorals de J.S. Bach et autres sources d'inspiration d'approche traditionnelle forment régulièrement le menu des disques du pianiste norvégien Tord Gustavsen.
A la tête de son Trio - Sigurd Hole (contrebasse, qui remplace Mats Eilersten ; Jarle Vespestad, batterie), le leader vient de graver "The Other Side " (ECM/Universal), un magnifique recueil de douze pièces (dont sept de sa plume) qui sont des éloges à la lenteur, à la contemplation, à la respiration, à la méditation, à l'élévation et à l'évasion spirituelle. Ici pas de rythmes sur et démultipliés, pas de groove démesuré, mais tout simplement une délicieuse impression de laisser son esprit vagabonder, errer, divaguer vers un monde musical onirique et parfois extatique.
Un CD d'une rare élégance aux mélodies dépouillées mais, oh combien ! riches en émotion.
Bons élèves
Patrie de Chopin, la Pologne est aussi une terre de jazz et d'excellents pianistes.
A l'image de Marcin Wasilewski, 43 ans, et de son Trio : Slawomir Kurkiewicz, contrebasse, et Michal Miskiewicz, batterie.
Avant de voler de leurs propres ailes, les trois musiciens ont accompagné durant de très nombreuses années Tomasz Stanko, célèbre trompettiste polonais pionnier de la musique improvisée et du free jazz, décédé en juillet de cette année à l'âge de 76 ans.
Le trio vient se publier son premier album en public, baptisé tout simplement "Live" (ECM/Universal) et gravé en 2016 au Jazz Middelheim Festival d'Anvers. Six titres, dont une reprise de "Message in the Bottle" de Sting et un hommage tout particulier au vénéré Herbie Hancock avec "Actual Proof", montrant le très haut degré d'homogénéité et de symbiose qui existe entre ces instrumentistes virtuoses, leur sens et leur compréhension mutuelle de l'improvisation et leur habilité à fédérer leurs idées pour en faire une, commune au groupe.
Il en va des pianistes et des trios comme des chanteuses : pléthoriques et, parfois, une vraie révélation.
A l'image d'Amaury Faye. Originaire de Toulouse, installé en Belgique, le jeune homme - élève de Joanne Brackeen à la Berklee School of Music de Boston où il a obtenu un prix du meilleur pianiste en 2015 et qui cumule depuis de très nombreuses récompenses - confirme avec son premier opus, "Live In Brussels" (Hypnote Records), son statut de pianiste les plus prometteurs de la scène jazz actuelle.
Aux commandes de son impeccable Trio - Louis Navarro, contrebasse ; Théo Lanau, batterie - le leader explore avec brio l'univers de Thelonious Monk ("Ugly Betty") et relit avec spontanéité et une réelle fraicheur des standards de J. Kern et G. Gershwin ("Fascinating Rhythm"). Sans oublier de livrer avec lyrisme et une technique de virtuose ses propres compositions.
Le premier CD sur cinq d'un "road trip musical" qui met en lumière un trio admirablement structuré et de haute qualité musicale.
(Il sera le 3 novembre au Jazz Café Montparnasse)
(crédit photo : Keith Jarrett©Roberto Masotti ECM Records)