Musique du XXè siècle (mais assurément pas celle du siècle actuel !), le jazz a généré des légendes et des icônes. Miles Davis, Charles Lloyd, les Brecker Brothers et Fletcher Henderson en font partie.
A l'occasion de son 80è anniversaire, le saxophoniste/flûtiste et compositeur Charles Lloyd - qui est une des dernières voix instrumentales du jazz, non seulement encore en vie, mais toujours en activité - s'est retrouvé en mars 2018 sur la scène du Lobero Theater de Santa Barbara, sa ville d'adoption en Californie.
Accompagné de personnalités de tout premier plan et complices de longue date - Julian Lage (guitare), Gerald Clayton (piano), Reuben Rogers (contrebasse) et Eric Harland (batterie) - plus quelques invités inattendus - Booker T. Jones (orgue) et le président du label Blue Note, Don Was (basse) - le charismatique leader s'est penché sur six décennies d'une carrière exemplaire.
Qui sont présentées dans un somptueux coffret (2 cd/DVD ou 3 LP, plus un livret de près de 100 pages) intitulé "8: Kindred Spirits, Live From the Lobero" (Blue Note/Universal). De ses premières expériences auprès du batteur Chico Hamilton ("Island Blues") à sa composition la plus connue ("Forest Flower"), en passant par un clin d'œil à sa ville natale Memphis ("Green Onions"), son évocation sans aucune honte de l'univers coltranien "(Dream Weaver"), voire une reprise pop/rock ("You Are So Beautiful"), le divin saxophoniste, jamais à court d'idées et de choruses étincelants, fait chanter son instrument avec magie et une créativité absolument intacte. Un maître !
Dans les années 1970/80, les Brecker Brothers - Randy l'aîné, trompette, ex-membre du groupe "Blood, Sweat & Tears" de la décennie 1960, et Michael (1949 - 2007), saxophones/EWI - conduisaient un groupe fondé en 1975, très orienté vers le jazz rock fusion funk, pratiquant en ce temps-là une musique populaire, sinon révolutionnaire, très en vogue.
En tournée européenne d'"enfer", en 1980, ils font alors escale au célèbre Onkel Pö Carnegie Hall de Hambourg avec les musiciens de leur seconde formation (Mark Gray, claviers ; Barry Finnerty, guitare ; Neil Jason, basse & chant ; Richie Morales, batterie). Et c'est là qu'il vont enregistrer "Live And Unreleased" (Leopard/Socadisc), un double CD jusqu'à maintenant inédit, qui porte parfaitement la marque de fabrique d'une époque musicale bien révolue et la solidité de deux leaders à l'apogée de leur expression instrumentale. Un document indispensable pour retrouver un tandem familial héroïque et flamboyant, dont un des membre est parti trop tôt.
Miles Davis continue d'hanter les esprits et les mémoires. "Miles Davis : The Birth of the Cool", est un documentaire de Stanley Nelson, projeté récemment à la télévision aux Etats-Unis, présenté notamment aux festivals de Sundance et Deauville et qui sera diffusé sur Netflix au printemps. Ce travail, nominé au Grammy catégorie "meilleur film musical" (remporté par "Homecoming" de Beyoncé), est accompagné d'une bande son éponyme (Columbia Legacy/Sony Music) qui rassemble quelques-uns des meilleurs titres interprétés ou écrits par cette légende du jazz moderne, agrémentés de courts commentaires. Dont ceux de Wayne Shorter, Carlos Santana, Marcus Miller, Herbie Hancock et du batteur Jimmy Cobb, 91 ans, dernier survivant des séances "Kind of Blue" (1959), aujourd'hui gravement malade.
La compilation dévoile un seul titre inédit, "Hail to the Real Chief".
Le jazz est une formidable machine à remonter le temps. Nul besoin de H.G. Wells pour effectuer ce voyage à la fois historique et initiatique.
"Les trompettes de Fletcher - 1923 - 1941/ Fletcher Henderson & His Orchestra" (Frémeaux & Associés) est un coffret de 3 cd qui rend hommage aussi bien à ce pianiste, chef d'orchestre, compositeur et arrangeur iconique et visionnaire, précurseur d'un style, le swing, qu'à quelques-uns de ses meilleurs et plus fameux trompettistes.
Si ce travail conjoint de Laurent Verdeaux et Didier Périer est à classer dans la niche des niches en raison du sujet abordé très spécifique, il met en lumière une époque, un meneur d'hommes et des solistes entrés dans la légende du jazz.
1920, ce sont les fameuses "Roaring Twenties" ("années folles" en version française), années d'insouciance et de fêtes (avant le krach de 1929 !), allant jusqu'à la période 1940 et l'explosion du swing. Durant ces deux décennies, Fletcher Henderson (1897 - 1952) dirige plusieurs groupes voire accompagne des chanteuses, comme Bessie Smith, Ma Raney ou Ethel Waters. Et au sein de ses différents petits et grands orchestres figurent des jazzmen en devenir à l'image notamment de Ben Webster, Coleman "Bean" Hawkins (saxe-ténor et saxophone basse dans certains enregistrements) et Thomas "Fats" Waller (piano).
Mais surtout ces formations sont des pépinières pour pléthores de trompettistes devenus fameux grâce à leur esthétique instrumentale : Louis Armstrong, venu tout spécialement de La Nouvelle-Orléans, Rex Stewart, Roy Eldridge ou Henry "Red" Allen, parmi les plus connus. Chacun d'entre eux va marquer par son jeu, son attaque, sa richesse d'expression dans les choruses (juste quelques mesures en ce temps-là) et sa fougue sur des titres emblématiques du moment et sur ce qui reste encore de nos jours une ère bénie du jazz.
Qui, curieusement, prendra fin avec la fin de la Seconde guerre mondiale !