AVC, fin de carrière, nouveau double CD en solo : Keith Jarrett a divulgué récemment ce qui pourrait bien être le "crépuscule d'un dieu" du jazz et du piano.
"Je ne me vois plus en pianiste. Ma main gauche est toujours en partie paralysée. J'ai du mal à imaginer mon avenir", a confié dernièrement Keith Jarrett, 75 ans, au quotidien New York Times (NYT), s'exprimant ainsi pour la première fois depuis ses accidents vasculaires cérébraux.
Des aveux et des révélations d'une telle gravité, qui ont causé un vif émoi dans le monde de la musique, dont les causes sont deux AVC survenus, le premier en février 2018, le second en mai de la même année. "J'essaie de me déplacer avec un canne, mais cela m'a pris plus d'une année pour y arriver", a révélé le compositeur et également multi instrumentiste (saxophone & flûte).
Quant à se remettre au piano, uniquement de la main droite, "je fais semblant d'être Bach avec une main", a-t-il reconnu. Son dernier concert remontant à février 2017, quand il s'était produit en solo au Carnegie Hall de New York.
Après des débuts avec les "Jazz Messengers" d'Art Blakey, c'est au sein du Quartet de Charles Lloyd (saxophones/flûte) au milieu des années 1960, que le jeune pianiste d'alors, né en 1945 à Allentown (Pennsylvanie), va véritablement émerger. Il va aussi y rencontrer Jack DeJohnnette (batterie) avec qui, et Gary Peacock (contrebasse, disparu en septembre de cette année à l'âge de 85 ans), il va former un trio exemplaire d'homogénéité qui va révolutionner l'art de ce type de formation pendant plus de quatre décennies au service des standards.
S'il rejoint Miles Davis à l'aube des années 1970, chez qui il joue du piano électrique, jamais il ne succombera à la fée électricité, préférant toujours le piano acoustique. Dont l'œuvre la plus marquante réalisée en solo sur cet instrument sera "The Köln Concert" (ECM - 1975), un double LP entièrement improvisé, d'une exceptionnelle musicalité entre pop, jazz, musique classique et improvisée, qui a contribué à créer le "mythe" Jarrett.
En solo à Budapest
La Hongrie est très présente dans le cœur du pianiste.
D'abord parce que sa grand-mère maternelle était originaire de ce pays. Ensuite, parce que, très jeune et surdoué, il jouait déjà du Bela Bartok. Enfin, parce qu'il s'était produit à quatre reprises à Budapest avant cette performance en solo de 2016, capturée dans "The Budapest Concert" (ECM/Universal).
"J'ai choisi ces enregistrements car ils étaient les meilleurs de cette tournée", a estimé le concertiste au NYT et que "je savais que quelque chose était en train de se passer".
La prestation est composée de deux parties : une première, où abondent, outre des moments jazzy très improvisés et libres, des références à Bela Bartok et autres compositeurs hongrois, et une seconde, qui devrait ravir les admirateurs du concert de Cologne, faite de courtes pièces et ballades, dans lesquelles apparaissent des accents bop marqués et assumés, voire ragtime et blues.
Pour se terminer en rappel avec deux standards, totalement métamorphosés, "It's A Lonesome Old Town" et "Answer Me".
Des moments uniques et magistraux de musique qui appartiennent déjà à la légende.