C'est tendance : à défaut de découvrir des enregistrements studio véritablement inédits, les concerts en direct oubliés et/ou enterrés refont surface. Ainsi Ella Fitzgerald, Dexter Gordon et la crème européenne des années 80 à Paris.
A jamais "First Lady of Song", Ella Fitzgerald (1917 - 1996) trouvait son accomplissement sur scène où elle fascinait son audience par son charme vocal inné, son sens du rythme - qu'elle avait dans la peau depuis ses débuts en 1934 au Apollo de Harlem, remarquée par le batteur Chick Webb - et surtout son art unique du scat, une seconde nature chez elle. Ella ne chantait pas, elle incarnait la chanson.
Et quelle meilleure illustration que la parution de "Ella - The Lost Berlin Tapes" (Verve/Universal) qui glorifie son héritage et sa légende.
Cet enregistrement inédit récemment découvert dans les archives de son manager Norman Granz, remonte à mars 1962 quand la chanteuse se présentait à Berlin, là même où deux ans auparavant elle avait gravé un de ses disques les plus célèbres et les plus vendus, "Mack The Knife : Ella in Berlin", couronné par deux Grammy Awards.
En 1962, Ella retrouve un de ses pianistes préférés, Paul Smith, ainsi que Wilfred Middlebrooks (contrebasse) et Stan Levey (batterie). Et son répertoire favori : le Great American Songbook. Et là, la magie s'opère. Au sommet de son expression vocale si charnelle, sensuelle, chaude et expressive, elle transforme ces standards et reprises - dont "Hallelujah, I Love Her So" de Ray Charles - en véritables joyaux de la couronne du jazz chanté.
Tout simplement la perfection !
Pour beaucoup, mentionner le nom de Dexter Gordon (1923 - 1990) c'est d'abord évoquer le film de Bertrand Tavernier "'Round Midnight" (1986) dans lequel ce géant par la taille (près de 2 mètres) et la stature musicale incarnait le rôle de Dale Turner.
C'est surtout oublier que le saxophoniste-ténor fut l'une des pièces maîtresses du Bebop dans les années 1940 et l'une des sources d'inspirations instrumentales de futurs monstres sacrés comme John Coltrane et Sonny Rollins.
Dans les années 1960, "Long Tall Dexter" comme il était surnommé, avait décidé de s'installer en Europe, notamment à Copenhague où il allait marquer de son empreinte la scène jazz danoise.
"Montmartre 1964" (Storyville/UVM Distribution) donne un parfait aperçu de cette époque bénie. Dans ce CD inédit gravé au mythique club Jazzhus Montmartre, accompagné d'un pianiste catalan, Tete Montoliu, et de deux jazzmen danois - Axel Riel (batterie) et surtout du précoce et virtuose Niels-Henning Oersted Pedersen (NHOP, contrebasse, 18 ans alors, futur complice d'Oscar Peterson) - notre gentil géant au souffle continu s'amuse à réinventer notamment "Manha de Carnival" (un clin d'œil à un autre exilé, Stan Getz) et "Misty".
Le tout avec cette sonorité particulière, puissante, chaleureuse et son phrasé musclé toujours en crescendo.
Les affiches uniques et étonnantes ne sont pas seulement l'apanage des Américains.
En novembre 1980, l'homme de radio et producteur André Francis réunissait sur la scène du Théâtre de la Ville à Paris, le 4tet du pianiste/compositeur britannique Gordon Beck - Allan Holdsworth (guitare), Jean-François Jenny-Clarke (contrebasse), Aldo Romano (batterie) - et un invité de marque, le jeune Didier Lockwood (violon - 24 ans).
Cette affiche inédite vient de voir le jour quarante ans après avec "The Unique Concert" (JMS/PIAS). En ce temps-là, le jazz français était à une période charnière : après avoir été traversé par les transes du free jazz, il hésitait à entrer en fusion. La présence pour ce concert exceptionnel de deux jazzmen britanniques et d'un violoniste virtuose venant de Magma pouvait ajouter à la confusion d'une musique alors vive, rythmée, aventureuse et virevoltante dans les soli de musiciens qui jouèrent ensemble pour la première et seule fois.
Une performance véritablement unique !