Miles Davis a toujours entretenu une histoire d’amour – intime, charnelle et aussi musicale – avec la France depuis sa première venue pour le Festival international de jazz à la salle Pleyel à Paris en mai 1949 jusqu’à son dernier concert donné à la Grande parade du jazz de Nice en juillet 1991, soit deux mois avant son décès.
Cette relation privilégiée et quasiment unique de la part d’un jazzman – il s’est produit en France plus que dans tout autre pays en dehors des Etats-Unis - est parfaitement illustrée dans un magnifique coffret qui vient de paraître : « Miles in France – 1963 & 1964 – Miles Davis Quintet – The Bootleg Series, vol. 8 » (Columbia Legacy/Sony Music – six cds).
A cette époque, le trompettiste/compositeur et leader a déjà changé le cours du jazz à plusieurs reprises. L’apogée de ces (r)évolutions étant l’enregistrement de « Kind of Blue » (1959), considéré comme l’un des plus grands albums et parmi les meilleurs succès commerciaux historiques du jazz.
C’est ainsi qu’à la tête d’un Quintet composé de deux « vétérans » (!) de la scène jazz d’alors, George Coleman (saxophone-ténor, 28 ans), Ron Carter (contrebasse, 26 ans) et deux « jeunes loups » - Herbie Hancock (piano – 23 ans) et surtout le teen-ager Tony Williams (batterie – 18 ans), qu’il se présente durant trois soirées en 1963 (26, 27 & 28 juillet) au Festival mondial du Jazz d’Antibes/Juan-les-Pins.
Les quatre premiers cds rassemblent l’intégralité des trois soirées (présentées par André Francis, alors « Monsieur Jazz » de la Radio télévision française – RTF - qui annonce un certain « Herbie Hancook » !!!), dont certains extraits des concerts avaient déjà été publiés, soit officiellement soit sous forme de « pirates ».
Le répertoire est quasiment identique à celui de « Kind of Blue » à savoir plusieurs reprises de « So What » et « All Blues » - deux compositions fétiches du trompettiste – ou encore « Milestone » et surtout toute une série de standards.
Si la trompette, parfois bouchée, du leader surnage par son aplomb et sa densité modale, c’est bien les rythmes imposés par Tony Williams qui mènent la danse par leurs côtés « révolutionnaires » du moment. Et qui poussent George Coleman, vraisemblablement l’un des plus sous-estimés saxophonistes de la génération et auteur de très longs soli, à totalement réviser et le libérer de ses certitudes harmoniques et mélodiques.
A l’automne 1964 (octobre), Miles se présente à la Salle Pleyel à Paris pour deux concerts - jusque-là inédits (cd 5&6) - avec une formation quasi identique, à une unité près : l’arrivée de Wayne Shorter, qui va entraîner la naissance de ce que les historiens appelleront le fameux « Second Great Quintet » du leader.
Si le répertoire n’est pas réellement nouveau – «So What », « Walkin’ », « Autumn Leaves », etc. – l’innovation, voire la mutation, viendra bousculer cet univers en repoussant toutes les barrières grâce au jeu du saxophoniste, parfois débridé, dans lequel s’entremêlent les phrases et les circonvolutions esthétiques.
Une page de l’histoire du jazz était en train de s’écrire !
Didier Pennequin