L'espace d'un week-end, la cité médiévale de caractère de La Roquebrou (Cantal - près de 900 habitants) s'est transformée en lieu de pélerinage pour tous les amateurs de boogie woogie - aussi et surtout pour les fous de danse - grâce à l'abnégation d'une centaine de bénévoles et sous la direction artistique du pianiste français spécialiste du genre, Jean-Paul Amouroux.
Pour sa 18è édition, le festival (du 11 au 14 août) n'a pas échappé à la sacro-sainte règle : réunir sur scène - et dans plusieurs bars jusqu'à plus soif tardivement dans la nuit - la fine fleur internationale des pianistes de boogie woogie. Et surtout offrir (nuit et jour là encore) à tou(te)s les amoureux(ses) de la danse en couple l'occasion unique de faire une fête à leur style préféré.
D'où une réelle ambiance - partout dans la ville et dans le gymnase transformé en salle de concert - à la fois festive, conviviale, divertissante, amicale et super joyeuse. Un must en ces temps parfois moroses ! Bref : la vraie fête au village !
La formule gagnante mise au point par Jean-Paul Amouroux est simple et surtout très efficace pour le nombreux public (plus de 4.000 entrées payantes sur un total de plus de 10.000 festivaliers pour l'édition 2016) qui a assisté aux concerts.
En première partie, je prends quelques-uns des virtuoses du genre venus des quatre coins de l'Europe et des Etats-Unis, je leur adjoins un batteur (Guillaume Nouaux) ou une section rythmique (Nuno Alexandre, contrebasse) augmentée de solistes (Lionel Stievenard, saxe-ténor ; Stan Noubard Pacha, guitare) pour l'occasion et ils se lancent ainsi dans de terribles "battle" swingantes en solo, à deux voire à trois pianos. En seconde partie, j'invite ici un bluesman ou une chanteuse de rhythm'n'blues, là un big band ou des formations orientées vers la soul de La Nouvelle-Orléans et le boogie orchestral.
Sans oublier en attraction de jeunes et beaux coupoles de danseurs (trois en l'occurence) dont certains sont champions du monde de danse boogie woogie. La vraie classe !
L'accueil très chaleureux réservé par le public - à la fois local, régional et aussi national et international - prouve que la formule rodée est parfaite et que la mayonnaise swing, propre à un style de jazz très daté mais toujours à la mode, a su prendre.
Huit pianistes, outre le maître de cérémonie, ont été invités à assurer les premières parties des trois soirées.
Tel le Suisse Silvan Zingg - au style bouillonnant, entraînant, dévastateur et exhubérant techniquement, qui a su mettre le feu mais aussi charmer, séduire et communiquer avec le public (il fut le seul musicien européen invité à jouer à l'enterrement de l'immense bluesman B.B. King). Ou encore la jeune Katharina Alber (Autriche - 24 ans) qui, venue du classique, doit encore se libérer pour parfaire une technique quelque peu rigide.
Ou encore, l'Allemand Christian Bleiming, l'Espagnol Lluis Coloma, l'excellent Papadon Washington (Etats-Unis), qui se double d'un vrai chanteur à la large palette, l'Italo-britannique Eric Ranzoni, qui a rendu hommage à la musique du groupe américain de blues rock, Canned Heat, ainsi qu'à l'un des parrains du "British Blues", le vénérable John Mayall, le Belge Boogie Phil et, enfin, le Français Jean-Pierre Bertrand, organisateur de festivals du même type et considéré comme l'un des artisans du "revival" du boogie dans l'Hexagone.
Des pianistes hors pair qui ont tous fait des "boeuf" endiablés lors des "after" dans les estaminets de la cité où se pressaient passionnés, amateurs et curieux. Tous mélomanes et fans. Avec en prime un bal swing d'anthologie à la salle polyvalante (plusieurs centaines de participant(e)s) où ont officié Alfred and his Gang et divers DJs, tous passionnés par les rythmes boogie.
La palme au bluesman Big Ron Hunter
Les secondes parties ont été assurées en ouverture (11 août), par les Rolling Dominos, dirigés par Didier Marty (saxe-ténor & soprano, vocal), qui rendent un vibrant et humoristique hommage à la musique d'une des figures majeures de La Nouvelle-Orléans, le pianiste/chanteur/compositeur Antoine "Fats" Domino, aujourd'hui âgé de 88 ans, en interprétant pour le plus grand bonheur de l'assistance, des tubes comme "Ain't That A Shame", "I'm Walking" ou encore "Blueberry Hill".
En deuxième partie le 12 août, l'excellent Tuxedo Big Band, une grande formation de 16 musiciens plus une chanteuse, venue de Toulouse, dirigée par Paul Chéron (saxe-alto/arrangeur), qui puise son répértoire dans la fameuse "Swing Era" des années 1930/40, voire dans des compositions plus modernes de l'histoire du jazz. Une élégante machine à swing qui a succédé à la puissante chanteuse de soul et de R&B, la parisienne d'adoption, Denise King,
Cependant, la palme du festival doit être attribuée au bluesman Big Ron Hunter, surnommé "le troubadour de Caroline du Nord". Arrivé sur scène en short et chemisette jaune, sandales aux pieds, chapeau de paille sur la tête et lunettes de soleil - l'explication vient du fait que ses bagages avaient été perdus à l'aéroport ! - lui qui a été l'un des invités du saxophoniste-ténor Raphaël Imbert sur "Music is my Home : Prologue" en 2015 (Jazz Village), nous a délivré, à la guitare acoustique et au chant (accompagné de la rythmique locale) un blues profond et émouvant, criant d'authenticité et de vérité, Une musique entrecoupée ici où là d'un clin d'oeil au boogie et au swing. Festival oblige !
Une manifestation qui a pris fin dimanche 14 août par deux concerts de gospel et de negro spirituals donnés dans la belle église gothique Saint-Martin, datant du XIVè siècle, de La Roquebrou après un pique-nique participatif organisé à midi dans la commune voisine de Saint-Paul-des-Landes en compagnie de Boogie Phil and the Wise Guys (Belgique).
L'édition 2017 du festival se déroulera le 2è week-end d'août. Un an donc pour réviser ses pas de danse !