Alors qu'un personnage se prétend être le "maître des horloges", Herbie Hancock est réellement le Maître des claviers. Il en a apporté la preuve, si cela était nécessaire, lors de sa prestation à la 8è édition du festival Saveur Jazz à Segré-en-Anjou-bleu (Maine-et-Loire), premier né des festivals du réseau SPEDIDAM.
En fait j'appréhendais beaucoup ce concert; J'avais encore en mémoire celui donné à La Seine musicale de Boulogne-Billancourt deux semaines auparavant. Ce soir-là, la déception avait été au rendez-vous : musique électrique beaucoup trop forte et assourdissante, voire tellurique, manque de préparation (c'était le second concert de la tournée européenne après ... l'Ukraine !), du dilettantisme et de l'à-peu-près sur scène, aucun point de repère thématique... Bref ! Une sorte de salmigondis électro-techno beat !
A Saveurs Jazz, ce fut une divine surprise !
Cet éternel jeune homme de 77 ans, affable, détendu et souriant, a parfaitement et intelligemment combiné son environnement tout électrique avec certains des tubes qui ont fait sa réputation. Et cela pour le plus grand plaisir des 1.500 spectateurs environ réunis sous le chapiteau du Parc de Bourg Chevreau !
D'entrée le ton est donné. Aux commandes d'un super groupe formé de Lionel Louéké (guitare), du jeune Terrace Martin (alto-saxe & claviers) - un peu trop discret - de James Genus (basse) et de Vinnie Colaiuta (batterie) - dont le puissant jeu de tambours et de cymbales fait office d'un rouleau compresseur rythmique omniprésent et enivrant - le légendaire leader plonge directement dans ce jazz fusionnel hyper funky et électrisant dont il fut l'un des principaux artisans voici quatre décennies.
Après un démarrage tonitruant, viendront les succès, notamment "Rock It", "Actual Proof" et "Cantaloupe Island", qui sont autant de retours aux sources d'un jazz binaire aux accents rockisants. Cependant, s'il faut quelque peu regretter les effets électriques multiples et répétitifs du guitariste Lionel Louéké - dont j'attendais de vrais soli à la six-cordes et pas seulement cette utilisation technique un peu outrancière - et la peu convaincante intervention au Vocoder du pianiste, c'est face à son piano acoustique que Herbie Hancock a été absolument magistral.
Egrenant frénétiquement les choruses avec fougue et inspiration au milieu d'une tornade sonore, il fut brillant d'imagination et toujours innovateur dans le touché et le phrasé. L'état de grâce retrouvé !
Le rappel sur le très attendu "Chameleon" où il s'est présenté sur scène avec son AX-Synth Roland - un clavier tenu en bandoulière comme une guitare - fut un autre grand moment d'extase et de délire.
(Il sera en concert en juillet, le 12 à Jazz à Vienne, le 17 au Nice Jazz Festival dont il est le parrain, le 28 à Jazz des Cinq Continents de Marseille et le 29 à Jazz in Marciac)
La grâce de Youn Sun Nah
En l'espace d'une décennie, la chanteuse Youn Sun Nah s'est taillée une sacrée réputation en France.
Pour son deuxième passage à Saveur Jazz, la gracile et gracieuse diva sud-coréenne - qui écume la quasi-totalité des festivals de jazz de cet été - a fait découvrir au public le répertoire de son dernier album, "She Moves On" (ACT). Reprenant d'entrée son nouveau tube, "Teach The Gifted Children", (une composition de Lou Reed), elle a mis à profit sa voix au timbre si particulier, qui enchante et qui charme, pour ainsi rendre visite à Joni Mitchell, Jimi Hendrix ou Tom Waits.
Sans oublier la reprise, simplement au kalimba (un instrument à percussion à lamelles) et accompagnée de son contrebassiste, Brad Jones, du très beau thème traditionnel, "Black is the Colour of my True Love's Hair". De la très belle ouvrage !
(photos : H. Hancock - Jean Thévenoux / Youn Sun Nah - Alain Pellerin)