Le pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim (ex-Dollar Brand) a été une des principales sensations de l'édition 2017 du Nice Jazz Festival qui une fois de plus a enregistré une fréquentation record (43.400 personnes selon les organisateurs, Jazz In & Off confondus) grâce surtout à des invités aussi éloignés du jazz que IAM, De La Soul, Deluxe, Mary J. Blige et autres -M-.
Désormais octogénaire (82 ans), Abdullah Ibrahim fait à la fois partie de la légende du jazz mais aussi de la musique sud-africaine au même titre que le fut son alter ego Chris McGregor.
Cependant, quand il arrive sur la scène du Théâtre de Verdure - alors qu'au loin sur la scène Masséna IAM déchaîne la foule et les décibels ! - et s'installe seul au piano, d'entrée il évoque et invoque Duke Ellington.S'en suivra un long solo lyrique et poétique, avec des changements de rythmes et de tonalités, où se mêleront plusieurs titres dont le très beau "In A Sentimental Mood", composé par Ellington.
Après un intermède accompagné uniquement par le violoncelliste/contrebassiste Noah Jackson et le flûtiste Cleave Guyton Jr., il est rejoint par le reste de son octet où figure notamment le trompettiste originaire de La Nouvelle-Orléans, Terence Blanchard, pour la présentation du projet "Ekaya". Un projet datant de 1959, quelque peu mythique et oublié dans l'histoire du pianiste et de son groupe d'alors, The Jazz Epistels. Et qui fleure bon l'univers musical et l'esprit de Duke Ellington !
En effet, nous sommes loin des racines sud-africaines de cet enfant du Cap. Et ainsi affranchis, nous plongeons dans une musique très élaborée, écrite et arrangée - somme toute de facture assez classique ! - avec de multiples échanges et d'improvisations de la part des différents intervenants et surtout d'une sacrée puissance et imagination de la part de Terence Blanchard, qui se révèle particulièrement efficace et instinctivement redoutable. Quant au leader, la plupart du temps les mains posées sur ses cuisses, il se contente de diriger son petit monde, visiblement agacé par le déferlements des décibels et les hurlements d'IAM !
Jazz ou rap, il faut choisir !
Quand Tony Allen évoque Art Blakey
Si l'on excepte la venue d'Herbie Hancock, parrain du festival, et la prestation du volubile et fougueux saxophoniste-ténor Kamasi Washington, l'une des autres sensations du NJF, fut le concert donné par le batteur Tony Allen.
Ou quand l'un des vénérables créateurs (il est âgé de 77 ans) de l'afrobeat de l'ouest africain anglophone (il est né au Nigéria) rend hommage à un des batteurs emblématiques de la période bebop et hard bop, fondateur des célébrissimes Jazz Messengers, Art Blakey.
Le télescopage entre les deux cultures et les deux styles de drumming est étonnant et... frappant ! Même si la volonté et le respect sont là, la reprise et la nouvelle exploitation de certains succès des Jazz Messengers et de leur leader, se fait dans un esprit très "jazzobeat", très coloré et enlevé rythmiquement et au niveau de la section des cuivres et des saxes. Droit derrière ses caisses et ses cymbales, Tony Allen récrée un univers sonore irrésistible et nous offre ainsi un jazz vraiment festif !
L'édition 2018 du NJF se tiendra du 17 au 21 juillet.
(Photos crédit Marie-Evelyne Colonna)